La quête moderne d’ordinateurs quantiques disponibles dans le commerce pourrait dépendre d’un partenariat canadien.
Des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) et de l’Université de Sherbrooke, au Québec, visent à construire un système hybride combinant un type stable de bit quantique (appelé qubit) et une technologie de puce supraconductrice pour permettre la fabrication d’ordinateurs quantiques commercialisables.
« Nous ne pourrons vraiment profiter de l’informatique quantique que lorsque des ordinateurs quantiques disponibles dans le commerce deviendront des outils fiables accessibles à tous » [traduction], déclare Joe Salfi, de l’UBC, chercheur principal pour ce projet.
Il combine son expertise dans le domaine des qubits de spin 3/2 avec les travaux menés sous la direction d’Éva Dupont-Ferrier et de Michel Pioro-Ladrière, de l’Université de Sherbrooke, experts des circuits supraconducteurs et des qubits de spin réalisés à l’aide de techniques industrielles de fabrication.
Les 3 chercheurs font partie des brillants esprits réunis dans le Colaboratoire quantique (Colab quantique), milieu de recherche-développement en collaboration récemment mis sur pied et auquel participent 3 universités — les universités de Waterloo, de Sherbrooke et de la Colombie-Britannique.
Ces 3 institutions universitaires et des partenaires du secteur privé partagent des installations et de l’expertise afin de donner vie à des technologies quantiques. Les chercheurs universitaires appartiennent à l’Institut d’informatique quantique de l’Université de Waterloo et à son initiative de recherche technologique Technologies quantiques transformatrices (TQT), à l’Institut Stewart-Blusson sur la matière quantique de l’UBC, de même qu’à l’Institut quantique (IQ) de l’Université de Sherbrooke.
Les ordinateurs quantiques tirent leur puissance de leur capacité à exploiter la manière étrange dont des particules fondamentales peuvent être dans une « superposition » de plus d’un état à la fois. Par exemple, le spin d’une particule peut être à la fois vers le haut et vers le bas.
Par conséquent, au lieu de calculer comme les ordinateurs classiques, qui utilisent des signaux électriques traduits en des bits ayant l’une des valeurs 0 ou 1, les ordinateurs quantiques traitent l’information d’une manière beaucoup plus riche et profonde, en exploitant la puissance de la superposition pour former des qubits qui peuvent avoir les valeurs 0 et 1 en même temps.
Il existe déjà des prototypes d’ordinateurs quantiques capables d’effectuer des calculs très limités. Mais la réalisation d’ordinateurs de plus grande taille, utiles pour résoudre des problèmes complexes comme la conception de nouveaux médicaments ou nanomatériaux, se heurte à 2 difficultés. La première est que les qubits sont extrêmement fragiles. L’état de superposition s’effondre facilement, ce qui détruit les superpouvoirs des qubits. La seconde difficulté réside dans la capacité de fabriquer de manière facile et rentable des circuits capables de gérer simultanément de nombreux qubits.
Selon M. Salfi, le projet de technologie hybride, qui fait appel à des particules de spin 3/2 comme qubits dans des circuits supraconducteurs, permettra de surmonter les 2 difficultés.
Ses propres recherches ont montré que les particules de spin 3/2, qui peuvent être liées entre elles de diverses manières pour former des circuits, peuvent avoir des durées de cohérence extrêmement longues, ce que l’on ne croyait pas possible auparavant. Cela signifie que ces particules demeurent plus longtemps dans leur état de superposition au cours d’un calcul quantique.
Les qubits de spin conventionnels font appel à des électrons de spin 1/2, dont le spin peut être vers le haut ou vers le bas. Ces particules sont fortement cohérentes, mais elles sont plus difficiles à relier dans des circuits. Une particule de spin 3/2 ajoute à son propre spin son moment angulaire orbital (mouvement). En principe, cette richesse supplémentaire rend les qubits de spin 3/2 plus faciles à contrôler.
Le défi consiste maintenant à montrer que cela peut se faire, en reliant des qubits de spin 3/2 entre eux et à des circuits supraconducteurs.
C’est là qu’intervient l’expertise des chercheurs de l’Institut quantique de l’Université de Sherbrooke.
« Mon expertise concerne les qubits de spin 3/2, dit M. Salfi. L’Université de Sherbrooke, travaille aussi sur les qubits de spin, mais elle possède une expertise et des capacités de nanofabrication beaucoup plus avancées pour la fabrication de transistors quantiques. Elle travaille depuis très longtemps sur la fabrication de ces dispositifs. » [traduction]
Eva Dupont-Ferrier, professeure au Département de physique de l’Université de Sherbrooke, explique que l’utilisation de circuits supraconducteurs qui permettent aux électrons de se déplacer sans résistance a d’énormes avantages en informatique quantique. Par contre, il n’est pas facile de combiner des qubits de spin 3/2 et les circuits supraconducteurs. Pour fonctionner, les qubits de spin 3/2 ont besoin d’un champ magnétique, et cela peut dégrader la qualité des circuits supraconducteurs, selon Eva Dupont-Ferrier.
« Dans ce projet, dit-elle, nous mettons au point des circuits supraconducteurs qui résistent très bien aux champs magnétiques, de sorte que nous pouvons les combiner avec les qubits de spin. »
Elle dit que la collaboration est essentielle pour un tel projet. Celle-ci est particulièrement importante pour le Canada, qui a un nombre limité d’institutions et de chercheurs. Selon Eva Dupont-Ferrier, la combinaison des expertises permet de faire davantage. Elle ajoute aussi que la collaboration elle-même favorise l’émergence d’idées nouvelles.
« Plus les gens partagent des connaissances, dit-elle, plus cela peut engendrer de nouvelles idées. Et c’est encore mieux si ces personnes viennent d’horizons différents. »
M. Salfi est lui aussi d’avis que la collaboration est importante pour différentes raisons. L’une d’entre elles est que les infrastructures, par exemple l’équipement spécialisé, sont coûteuses. En partageant l’accès à leurs installations et à leur expertise, des institutions peuvent accomplir ensemble beaucoup plus que ce qu’elles pourraient faire séparément.
Eva Dupont-Ferrier ajoute que l’échange d’information sur la manière d’effectuer les mesures devient important dans ce projet, qu’il s’agisse de concevoir le bon processus de fabrication des éléments supraconducteurs ou de diminuer le bruit dans la chaîne des mesures.
M. Salfi est d’accord : « La collaboration concernant les mesures est importante pour pouvoir résoudre les problèmes plus rapidement. » [traduction]
Mais il ajoute du même coup que le plus enthousiasmant à propos de ce projet est que les qubits fonctionneraient sur une base de silicium, le même matériau employé pour la fabrication des puces informatiques actuelles. Cette recherche pourrait donc mener à des ordinateurs quantiques extensibles, susceptibles d’être construits par des partenaires industriels en vue d’applications commerciales.
« Cela nous donne le potentiel d’utiliser des techniques de fabrications existantes » [traduction], dit-il.